Emile Gallé (1846-1904), La main aux algues et aux coquillages, 1904

Publié le par la guide du rout'art

main_galle.gifIssu d’une famille de pasteurs, Emile Gallé est à la fois profondément anticlérical et très croyant. C’est un artiste polyvalent dans trois domaines : la céramique, l’ébénisterie et surtout la verrerie. Il va sans doute mourir à cause du contact avec les acides nécessaires à la gravure sur verre.

Figure de proue de l’Art Nouveau, il désire exalter le statut de l’artisan, à la fois intellectuel, scientifique et artiste. Botaniste reconnu, il trouve aussi dans ses recherches de quoi enrichir son vocabulaire ornemental.

Cette main est présentée en 1904 à l’exposition d’art décoratif de Nancy, année de la mort de l’artiste, elle est considérée comme un testament artistique. En verre modelé à chaud, avec des inclusions d'oxydes métalliques, elle mesure 33,4 cm, plus grande qu’une main réelle. Il en existe deux autres versions, probablement des esquisses, ou des premières tentatives de réalisation de la main.

Ici, l’artiste joue habilement sur l’opacité du matériau, habituellement transparent, et sur son aspect organique, et je dirais même vivant. Le pied de l’œuvre est très opaque et sombre, puis la main devient peu à peu translucide jusqu’aux extrémités des doigts totalement transparentes. On remarque facilement que cette main est anatomiquement fausse dans le rattachement des doigts à la paume ainsi que dans les proportions. De plus, les phalanges sont légèrement boursouflées, comme après un long séjour dans l’eau.

On a retrouvée une note de l’artiste intitulée Antiquo More, elle renvoie à un groupe de « formes inspirées de l’antique », « supposées tombées au fond de la mer et brodées par les végétations marines ». Ces notes peuvent renvoyer à des ex-votos, objets de culte antiques en bronze figurant une main dressée.

De plus, cette note contient le premier vers du très célèbre poème de Victor Hugo, Oceano Nox. Ici, l’auteur faisait référence aux noyades collectives et associait la mer au monde des ténèbres, hostile à l’homme.

Oh ! Combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l’aveugle océan à jamais enfouis !

Cette main fait évidemment référence au thème de la noyade. Elle serait peut-être même une réponse à un évènement de la même année. Alors au début de la guerre entre la Russie et le Japon, les navires russes de Port-Artur sont littéralement engloutis par une attaque japonaise menée en février de cette année par l’amiral Togo Heihachiro.                

Enfin, cette main en train de sortir de l'eau ou d'y couler accentue une symbolique de passage, passage d’un monde à l’autre, d’un état à l’autre, il la réalise alors qu’il est très malade et se sait condamné. Il réalise ici un objet d’une grande puissance émotionnelle et esthétique, sans fonction et sans utilité, une réelle œuvre d’art. Ici, Emile Gallé n’est plus du tout un artisan mais un artiste à part entière. Cette œuvre restera en sa possession jusqu’à sa mort, et elle ne sera donné au musée d’Orsay qu’en 1990 par ses descendants. 

Publié dans Oeuvres

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